Le pied nu

Le pied nu

L'off-symbole

L'enchevêtrement systématisant et frénétique de la production emballée de symboles d'auto-proclamation de la société occidentale est en soi un épiphénomène exigeant la création d'une mathématique philosophico-spiritualo-neuro-florissante ayant pour principal objet l'élaboration d'une équation qui, manipulée jusque dans les confins de son sens ésotérique, ouvrirait la voie à l'expression intelligible du foisonnement symbolique en une expression minimale que nous appellerons ici l'off-symbole.

La coque du symbole recouvre l'essence fragile de l'être dans son éther fondamental . Mais ici, désormais, en occident, tout se passe comme si la gangue symbolique s'épaississait au point et au risque d'absorber la réalité même de l'être individuel.

Do we really want this?

Le symbole tel que nous le produisons compulsivement n'est plus le filigrane subtil incarnant le sens de la pudeur mais un tissu cancéreux qui gomme l'individu jusque dans sa plus profonde raison d'être. Pourtant, nos convulsions intellectuelo-neuro-stabilisantes ont permis une percée dans la membrane sclérosée de l'inconscient collectif et nous ont conduit à la découverte de la faille, de la lézarde insoupçonnée, affligeant contre toute attente la carapace du tatou social occidental.

Nous avons découvert l'off symbole:

Le pied nu.

Qu'en est-il du pouvoir essentiellement révélant du choix d'une maison, d'une marque de voiture, d'une destination-vacances, du contenu du réfrigérateur, de l'orientation sexuelle, de l'obtention d'un diplôme, du solde d'une carte de crédit, d'une allégeance politique, du choix de tel scotch plutôt que d'un autre, de se brosser les dents avant ou après avoir remis le capuchon sur le tube de dentifrice ou du choix du dentifrice lui-même, de tel parfum, de telle marque de lessive, de telle pratique religieuse, de la fréquence des rapports sexuels avec ou sans recours à tel ou tel moyen de contraception, du nombre d'enfants voulu, du choix de l'école maternelle, d'avoir un chien, un chat, une gerboise ou une tortue ou tous à la fois, du chiffre total des montants omis dans la déclaration d'impôts, de la planification des jours et des moyens pour pratiquer confortablement l'adultère, de l'eau du robinet ou en bouteille, de la crème à appliquer sur les fesses rougies du bébé, de remplacer la bougie de la tondeuse une fois tous les deux étés, de mettre du beurre sur le pain avant de verser le café ou après, de voter à droite ou à gauche ou au centre mais de toutes façons toujours en désespoir de cause, de cracher dans la rue ou sur son voisin, de porter des boxers ou un string, d'écouter Mahler ou Madonna, d'apprendre le tibétain ou l'hawaïen, de porter à gauche ou à droite selon qu'on sort avec un(e) droitier(re) ou un gaucher re), de préférer la chaise électrique à l'injection létale, de recycler ou pas, de faire les courses le jeudi ou le samedi, de choisir les bananes mûres ou les pommes blettes...Il n'en est rien, plus rien qu'un torrent glapissant de choix, de gestes,d'images agitées dans l'épaisseur indifférente de l'impudeur portée haut comme un étendard.

Est-ce à dire que l'opacité créée par la saturation de la multiplicité des symboles ait pu pervertir le sens de l'image archétype recouvrant finement la complexité mouvante et sensible de l'être individuel et collectif? Oui. Et quel en est le corollaire pervers? L'impudeur apparente comme bouclier opposé à la nécessité du sens de l'être chez l'individu.

Do you copy this?

Autrement dit: je m'habille tellement de tous les objets et de toutes les conneries possibles que je n'aurai jamais à montrer que je suis super poche en métaphysique et que je suis au moins aussi intelligent qu'une mouette qui bafre des frites dans le parking du Mc Donalds, sans pour autant faire voir que j'ai tellement peur de mourir que je suis prêt à ne pas avoir conscience de vivre.

Nous avons vu déjà, plus haut, que le symbole, l'image-archétype, voile subtilement, protège en quelque sorte l'essence de l'être, révélant ainsi chez celui-ci l'existence d'un sentiment sourd de l'imminence de la perte du soi spécifique qui confère à ce même individu une certaine conscience d'être, un sentiment de maintien dans l'ici et le maintenant , garantie ténue d'une impression de réalité.

Tout se passe comme si l'être individuel , l'être social et collectif occidental avait décidé de disparaître sous une coque dont l'épaisseur fibreuse lui permet l'oblitération définitive de son sens, de sa sensibilité, de sa spécificité.

And then? All right! Tell us that you're fucked!

Pourtant, il y a une faille.

Qu'arrive-t-il lorsqu'on demande à n'importe quel individu de se déchausser ? (L'imperceptible instant de silence où l'univers et son mouvement semblent suspendus pour l'éternité, les yeux ronds, le regard hébété de celui ou de celle que l'on a convié à dénuder, à donner à voir son pied?)

Qu'arrive-t-il? Que voit-on se matérialiser dans l'instantanéité, par la torsion des traits du visage dégoulinant soudain de gêne et de malaise? La manifestation irréfutable de la pudeur!

Le pied nu, en conséquence, est devenu le symbole fondamental de l'être individuel et social occidental, puisque la manifestation inespérée d'un accès de pudeur signifie que nous l'approchons dans son essence!

Ainsi donc, par l'application de l'outil métaphorique nous pouvons désormais le révéler, le surprendre et l'exposer tel qu'il est, aux prises, effectivement,  avec l'insaisissable conscience de soi.

Tell us about it.

Ultime analyse par la transsubstanciation du pied déchaussé, nu comme un rat expulsé de la matrice primordiale.

Le cor propre à l'égoïsme obstiné, la déformation due à 'une arthrite naissante ou installée et évolutive, une vie adulte et déviante, perverse mais lénifiante, Les ongles négligés, mal taillés, des intérieurs aux immondices dissimulées sous les tapis, les sourires faux et le jugement facile, l'ongle incarné, racorni, propre au saint honteusement trahi par ses dieux, le pied plat, traînant, le caractère terre-à-terre et le manque de vitalité malgré l'évidence de lendemains qui chantent, le pied effrontément arqué, à jamais, le talon haussé sempiternellement, exerçant une pression concave sur les lombaires, projetant vers l'arrière la bombe du cul, la saillie du système veineux, d'un tempérament visiblement calme mais propre à la plupart des psychopathes qui tuent en série parce qu'à l'école on insiste souvent trop sur la répétition dans certaines méthodes pédagogiques, notamment en ce qui concerne l'arithmétique, les ecchymoses bleues, surdité complaisante, jaunâtre, attention soutenue par jour de stabilité de la pression atmosphérique, la cohérence dans le discours et le souci du détail et du travail bien fait inversement proportionnels à l'accumulation de toe jam entre les orteils, plus il y en a, plus l'individu est fiable, paradoxe à peine concevable, verni à ongles mal appliqué, bavures sur les cuticules, choix désolant des couleurs, mauvais goût certain pour les affaires publiques, longueur variable du second orteil du pied, révélant indiscrètement un gêne égyptien ou romain, dominance sociale au sein du couple que le mariage soit légal ou non, religieux ou impensable, striures sur l'ongle du gros orteil, goût pour l'exotisme mais assignation à domicile pour cause d'incapacité à la gestion intelligente des fonds du capital-vacances, relief déficient des tendons, enfance difficile du point de vue lymphatique, accusant l'éventualité d'un retard mental sensible mais ne justifiant aucunement la sénescence mentale précoce.

Bien sûr, la présente analyse ne saurait être moins exhaustive, mais elle suffit amplement à notre démonstration.

Quoi qu'il en soit, ainsi s'ouvre la voie d'un Nouvel Entendement que nous vous convions à pénétrer plus intimement.

Déchaussez-vous!

Get rid of your fuck'n shoes!

Autrement dit: enlevez vos chaussettes, vos bas, brûlez vos cothurnes, vendez vos bottes, écornez vos escarpins, battez vos semelles, scrapez vos résilles!

Naissez, n'est-ce pas...